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b   u   d   a   p   e   s   t

Cartes postales de Budapest

 

Du sentimentalisme superficiel et mièvre habituellement associé aux cartes postales, nulle trace dans la série d'impressions initiales de Budapest signée par Michael Pettet.

 

D'abord, ces statues de fer d'hommes soviétiques, conçues pour survivre aux affres du temps et proclamer avec arrogance la puissance et la permanence d'une nouvelle idéologie d'occupation. Il s'agit là des symboles qui jadis représentèrent la solidarité ouvrière et célébrèrent le triomphe du communisme, mais qui aujourd'hui sont devenus le souvenir embarrassant du départ des Russes et de la trahison de la promesse censée apporter une société sans classes. Ces femmes et hommes de fer au poing levé contre le ciel de Budapest se trouvent désormais prisonniers du temps, abandonnés par les Soviétiques en 1991 alors que leur Empire se désagrégeait, frappé d'une part par des rébellions en son sein, de l'autre par l'étiolement de ses satellites d'Europe de l'Est. Et puis Lénine, traversant les continents avec assurance, porteur d'un message révolutionnaire ardent, n'est également plus que l'un des nombreux événements auxquels Budapest a assisté, qui sont venus et s'en sont allés, mais en prenant soin de laisser au passage leur marque sur cette belle ville.

 

Malgré la grâce et la beauté architecturales incontestables de la ville, véritables témoignages de la créativité et de l'ingéniosité humaine, l'on sent de façon très claire que le but de Michael Pettet n'est pas de glorifier Budapest en tant que trésor regorgeant d'artéfacts culturels. L'approche de l'artiste est en effet bien plus subtile et réfléchie. Plus que sur la variété des impressions visuelles initiales de type « Je voudrais que tu sois là » caractéristique des cartes postales, son intérêt se porte sur la création d'une réponse émotionnelle de la part de son public, à travers sa focalisation sur l'amalgame de matériaux variés et finalement absurdes, ce « pantin fait de toutes pièces », déposé et collecté dans le sein de la ville avec le temps. 

 

Ces rappels désordonnés de l'existence des générations nombreuses ayant vécu et péri avant nous nous troublent et nous désorientent. Notre sens de la chronologie nous fait défaut. Les murs de cette grande ville s'écaillent de toute part, et sous chacune des couches de matériau superposées les unes aux autres se révèle l'histoire d'une existence humaine, oubliée depuis longtemps, et s'offrant aux yeux de ceux qui habitent encore ses recoins et fissures. C'est aujourd'hui au tour des habitants bien vivants de la ville de poursuivre leurs rêves parmi les évocations délabrées des vies antérieures désormais éteintes mais jadis vibrantes et aspirant à l'endurance et à la permanence.

         

Parfois, le point de référence à l'intérieur des cartes postales est intime. Dans les portraits encadrés d'illustres membres de la famille, l'on peut reconnaître la tentative des individus de donner un sens à leur propre place dans l'ordre des choses, à travers la reconstitution de leur arbre généalogique. Cependant, il semble évident que ces efforts individuels de donner forme et sens au passé sont au final futiles, en raison de la participation gouvernementale dans le processus historique. L'on retrouve invariablement la trace de cette détermination et ce besoin d'être vu comme conquérant ou modeleur de temps, qu'il s'agisse des Habsbourg ou, bien sûr, des Soviétiques. Les aspirations des dynasties et idéologies dans toute leur vanité revêtent un caractère encore plus ridicules alors que l'on observe leur déclin et effondrement final, leur puissance symbolique réduite aux débris désordonnés et incohérents collés sur les surfaces écaillées de Michael Pettet. Avec chaque nouvelle génération immanquablement confiante d'éviter les erreurs et faiblesses de ses prédécesseurs, le ton est à la fois nonchalant et moralisateur lorsqu'il s'agit de parler des leçons à retenir du passé.

 

En plus de ces marques de défaite et de supercherie, l'on en retrouve d'autres de cruauté. Les lignes ferroviaires et horaires de trains a demi effacés dans les images de Pettet font allusion à la déportation des Juifs et aux mouvements de populations vers les camps de travaux soviétiques à l'est. Sont également présentes des références au nazisme et au communisme, leurs systèmes de terreur communs, et la trahison d'hommes et femmes ordinaires par les prophètes et pourvoyeurs de rêves mensongers sur les deux extrémités du spectre politique. L'on peut percevoir sous les différentes surfaces superposées les bourreaux cyniques et sans visage qui passèrent aisément de la droite vers la gauche au service de différents maîtres politiques, tout en continuant à exercer leurs affaires abjectes.

 

Ces cartes postales dépeignent l'effet cumulé d'événements passés sur notre identité et notre mémoire collective. À Budapest, le sens du passé est global et tangible, mais que peut-on en tirer ? Pettet reconnaît notre dilemme alors que nous essayons inlassablement de nous orienter dans le temps.

 

Nous tentons de déchiffrer les leçons du passé depuis un endroit précaire dans un présent inconstant, le regard fixé vers l'avant, en direction d'un futur incertain.

 

Budapest est une ville qui doit encore déterminer quelles leçons sont à tirer de son récent passé soviétique et traumatique. Hébétée, paralysée et anxieuse, elle est prisonnière du temps et n'est pas encore passée à autre chose. Le chemin futur de la ville et, bien sûr, de la Hongrie, reste imprévisible et incertain, à présent bloqué entre l'ouest et la nouvelle réalité d'une Europe occidentale s'alliant autour des bénéficies d'une coopération collective, et l'est, sous les traits de la Russie de Poutine, soucieux de laisser sa trace dans l'Histoire en contractant les muscles nationalistes qu'il a récemment acquis. Face à une telle realpolitik, les leçons historiques que les Hongrois pourraient utiliser pour se hisser vers un futur meilleur semblent plus ténues et illusoires que jamais. Cette incertitude pénible et ce sentiment anxieux de mauvaise augure se déroulent comme des lignes de barbelé à travers le langage visuel que Michael Pettet emploie pour nous faire part de ses impressions initiales de Budapest.

 

Dominic Simmons - Septembre 2014

Translation by Sarah Brandmeyer - 2017

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