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J o u r n a l   d e   T c h e r n o b y l,   3 è r e   p a r t i e

Journal de Tchernobyl, 3e partie

 

Troisième partie des Journaux de Tchernobyl de Michael Pettet

 

« Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois. 

Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez ! »

La troisième partie des Journaux de Tchernobyl fait quelque peu écho au sonnet du poète anglais romantique Percy Shelley, dans lequel se tient, au milieu de friches désertiques étendues, la statue de l’ancien « roi des rois », Ozymandias. En dépit des fanfaronnades arrogantes du despote autour de ses exploits terrestres, il ne reste que « deux jambes de calcaire vastes et dépossédées de torse » et « un visage brisé ».

« Rien à côté ne subsiste : autour du décombre

De cette ruine colossale, infinie et dépouillée

La solitude des sables lisses s’éploie au loin. »

La réflexion de Michael Pettet cependant, contrairement à celle de Shelley, ne se limite pas aux exploits d’un individu par rapport à la portée du temps infini et au caractère durable de la nature. Elle consiste plutôt en une méditation visuelle sur la destinée finale de la race humaine, dans la même veine que celle de Stanley Kubrick avec son révolutionnaire et épique 2001, l’Odyssée de l’Espace. Comme Kubrick, Pettet nous transporte à travers le temps et l’espace (et différentes étapes de l’évolution), à destination d’un monde sombre et consumé, où l’on nous laisse tournoyer, étourdis et désorientés, à la recherche de réponses logiques pour expliquer ce qui est arrivé à la Terre et la destination finale de l’homme.

 

Le temps et les proportions sont incertains dans ce monde futur et, le temps d’un instant, l’on n’est pas complètement certains qu’il s’agisse bien de la planète Terre. On ne retrouve aucun sentiment de déjà vu avivé par les souvenirs de la Première partie des Journaux où, malgré la dévastation causée par les radiations, on pouvait observer une réviviscence de la faune et de la flore, ainsi qu’une impression de résilience de la part de la nature. Il ne s’agit pas ici d’un environnement spécifique au site de Tchernobyl mais d’un monde à l’échelle géographique bien plus vaste.

Il s’agit de paysages de granite corrodés et balafrés (presque à la façon de plaques tectoniques exposées), où s’infiltrent des bassins et rivières de radiation, le tout cinglé de pluies acides : de surfaces dépourvues de toute végétation identifiable, mais dans les couches historiques desquelles reposent des arbres fossilisés. Leur présence ironique, sous terre plutôt que sur terre, est en partie ce qui désoriente le regard. Certaines de ces images, dont les surfaces sont criblées d’impacts telle une peau marquée par la vérole, rappellent les photographies aériennes de 1917 du Nord de la France et de la Belgique, dévastées par les bombardements d’artillerie d’une Guerre totale. L’on recherche des contours familiers et un semblant d’ordre pour, à la place, ne trouver que des rappels morcelés de la présence passée de l’homme. Au sein de la même image, ce qui pourrait être des vestiges d’intelligence robotique se juxtapose à des peintures de style rupestre. L’on retrouve des références aux langues classiques, aux flèches des églises, aux chiffres mathématiques et aux monolithes primitifs, ainsi qu’à des plateformes d’observation d’étoiles. Certains symboles sont à peine reconnaissables : la passerelle classique devenue cul-de-sac menant dans la roche. L’on déambule et explore à travers une terre tout aussi déroutante que la « Zone » du film Stalker de Tarkovski, à la recherche d’indices visuels concernant ce qui a pu se passer, en quête d’une narration cohérente, d’une trace de cause et effet, dans ce monde post-humain.

 

Pettet joue avec nous, tel le Stalker et son questionnement socratique sur le sens de l’existence humaine, plutôt que de donner des indications et explications explicites. À l’intérieur de ses rectangles

et carrés répétés (qui ne sont pas sans rappeler « l’obélisque de l’Odyssée de l’Espace »), il souligne et attire notre attention sur ce qui pourrait être des indices visuels affriolants.

Frustrés et désireux de résoudre ce puzzle visuel, l’on est également enclins à établir des liens avec les réflexions précédentes de l’artiste sur la nature et les ambitions de la race humaine à ses différents stades d’évolution. Les observations de Pettet sur la nature parasitaire de l’homme moderne revêtent un caractère particulièrement pertinent : son exploitation consumériste et la maltraitance négligente de son environnement naturel, mais aussi sa dangereuse expérimentation avec la science. Puis, évidemment, l’on retrouve son désir insatiable d’explorer et de lever le voile sur l’inconnu ; la frontière finie de l’espace et la possibilité de rencontrer et de toucher la face de son créateur : Dieu.

La réponse à « l’énigme des tableaux » résiderait-elle dans les angoisses et conflits de nos propres périodes dysfonctionnelles ? Dans l’obsession pour notre propre pertinence individuelle à l’« Ère de la célébrité et du selfie » consumériste qui nous a menés à ignorer aveuglément les inégalité sociales explosives du néolibéralisme et l’essor des populistes prêts à exploiter le pouvoir d’internet pour propager leurs mensonges et leur poison, pour contrôler les esprits et monter les hommes les uns contre les autres ? Dans l’effondrement des derniers vestiges de la coopération internationale et l’ascension d’un nationalisme agressif au XXIe siècle : le début de guerres sans fin entre les nations pour s’emparer des dernières ressources de la terre jusqu’au tout dernier acte de cupidité insensée, fermant les yeux sur la doctrine du XXe siècle de la Destruction mutuelle assurée… les multiples pressions de boutons nucléaires… l’anéantissement atomique !

 

Cet enchaînement d’événements pourrait bien expliquer ces scènes de dévastation et de présence humaine passée.

 

Mais une autre possibilité existe : cet homme parasitaire pourrait-il avoir simplement abandonné une planète qui a servi son dessein pour trouver un autre endroit dans l’espace ? La présence de barres de lumière extraterrestre éclatantes dans de nombreux tableaux laisse entendre que, peut-être, il a passé de nouvelles et puissantes alliances, ou s’est converti en super-être céleste ? L’on ne peut s’empêcher de se rappeler 2001, l’Odyssée de l’Espace de Kubrick, au moment où le Dr David Bowman, dans une chambre de style néoclassique, observe des versions plus âgées de lui-même et, touchant le Monolithe en quête de réponse, se transforme en « enfant des étoiles ».

 

En tant qu’œuvre de grand art, la 3e partie des Journaux de Tchernobyl ouvre la porte à de nombreuses interprétations,suscitant de profondes réflexions sur la condition humaine, le but de l’existence et la destination finale de l’homme.

 

Dominic Simmons Mai 2020

Translation by Sarah Brandmeyer - 2020

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