Marées incessantes
La précarité de l'existence humaine a inspiré une quantité innombrable d'artistes. Cependant, peu d'entre eux explorent de façon aussi intense que Michael Pettet notre fragilité au sein du monde naturel qui nous entoure.
Ce qu'il dépeint, ce n'est pas une existence créée et peuplée miraculeusement, par exemple, de la main du créateur originel comme dans le récit biblique de la création, mais un processus continu, incessant et souvent pénible. On retrouve quelque chose de darwinien dans les tableaux de Pettet. Il s'agit d'un monde galapodalique en constante mutation, transformation, évolution. La vie peine à émerger au-delà de sa surface volcanique, bataillant contre de gigantesques forces contraires. Il s'agit là d'un processus perpétuel et douloureux. L'on peut presque entendre ses pleurs, ses supplications, son souffle palpitant et haletant contre le son incessant de la marée qui se lève et s'écrase sur le rivage primitif qui existe depuis la nuit des temps, avant même que n'apparaisse une conscience humaine.
Dans cette vision artistique des plus apocalyptiques, notre espèce n'est en rien différente de celles qui rampent ou se meuvent à la surface de la Terre ou que celles qui nagent et glissent dans ses profondeurs bleues et aquatiques. Nos plus grandes civilisations, qui jadis se sont fièrement dressées sur le sol accidenté de cette planète, se trouvent à présent bien en-dessous de lui, prises dans ses couches, enveloppées. Grecque, romane, moghole, aztèque, chacune fait du truisme de l’Histoire sur « l'ascension et la chute des empires », similaire aux vagues de marées incessantes, une réalité visible. Les âmes de ceux qui ont un jour versé leur sang dans des batailles, ont commercé, ont exploré, ont écrit des codes juridiques sophistiqués, ont aimé passionnément et à en perdre haleine, ne s'élèvent pas vers un autre monde céleste mais pourrissent et se désintègrent avant d'être plongées dans les profondeurs de la Terre pour former les restes visibles d'un vivier collectif de mémoire et d'expérience.
Au cours de notre évolution courte et brutale, nous avons appris à dominer et à assujettir d'autres formes de vie, de la période à laquelle nous soudions une hache de silex jusqu'à celle où nous avons désormais notre doigt pointé sur le bouton nucléaire. Cependant, pareils à ces pauvres marins échoués au large de la baie de Scapa Flow durant la Première et la Seconde guerre mondiale, nous ne pouvons échapper à notre destinée finale pour nous retrouver connectés avec nos frères et sœurs à d'autres temps, passés, présents et futurs. Nous parlons de leçons enseignées par l'Histoire et par l'éducation, de possibilités infinies de consciences, et pourtant, nous continuons à nous mentir.
Ces travaux primitifs de Michael Pettet sont grandement empreints de moralité. À la manière d'un Wiliam Blake des temps modernes, l'artiste ne s'intéresse pas seulement à l'essence ultime de l'existence humaine mais également à la vanité de l'Homme. À l'heure où il est à la mode de parler du mal que ce dernier cause à la Terre, d'effet de serre et autre fonte des glaces, l'intention de Pettet de se rire de nos prétentions est palpable. Cette planète a existé bien avant nous et continuera d'évoluer bien après que nous aurons cessé de gangrener son rivage.
Mais pour autant que le travail de Michael Pettet exprime de la rage et de la passion, il renferme également une compassion silencieuse au regard des efforts déployés par l'Homme pour laisser une trace de son existence, aussi futile soit-elle, à travers sa création artistique et ses contemplations philosophiques. Notre coeur est ému et l'on partage le sentiment de celui dont les mains ont façonné et moulé une cire sur le visage de l'être aimé désormais disparu, dans une tentative pressante et désespérée de graver sur le masque de la mort des traits familiers.
Pourtant, Pettet n'est finalement en rien différent de ces premiers artistes qui ont laissé une empreinte de leur existence quotidienne dans notre mémoire collective, sous la forme de peintures rupestres. Comme eux, il utilise simplement l'outil le plus puissant de son époque : l'ordinateur. Il s'exprime dans l'intention de se connecter à nous et de toucher nos âmes, dans notre réalité virtuelle parallèle récemment construite. Nous envoyons des messages, nous twittons, nous créons nos réseaux sociaux et nous rendons hommage à un Steve Job nouvellement déifié, mais finalement notre réalité n'est autre que le plus haut point de la désillusion, pire encore qu'un état de stupeur sous l'emprise de drogues.
À l'heure du XXIe siècle, malgré tous les efforts que nous déployons contre les murs « imprenables » de notre citadelle technologique, les marées continuent de résonner, n'ayant de cesse de s'écraser, d'éroder, apportant avec elle chute et retour générationnel à la terre, s'accompagnant des couches d'où nous venons. Vain est-il de se battre, de résister à l'appel de la nature, car :
« C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » (Genèse 3:19).
Dominic Simmons 2011
Translation by Sarah Brandmeyer - 2017